Une semaine dans un monastère
Nous avions décidé avec ma compagne de passer une semaine dans un monastère, en gardant le silence pendant cinq jours. En arrivant dans le lieu que nous avions choisi, nous avons été immergé dans un autre temps et une autre vie, accompagnés par des Sœurs bénédictines qui consacrent leur vie à la prière et aux autres.
J'ai été impressionné par leur dévouement à maintenir dans notre monde la présence d'une tradition chrétienne où l'exemple de la vie de Jésus-Christ est le modèle qui les conduit à faire don d'elle-même pour une cause qui les transcendent.
J'ai souvent entendu des personnes parler d'amour inconditionnel, de service et de don de soi mais j'ai très rarement vu des personnes l'incarner dans leur vie quotidienne comme elles le font avec une constance et une discipline qui force l'admiration.
Je me suis senti profondément accueilli dans leur communauté. Dans les textes qu'elles lisent ou chantent, il est souvent fait référence à l'accueil des pauvres, des miséreux, de ceux qui souffrent et sont rejetés. Le Cœur du Christ est le refuge où chacun peut trouver sa place, sa dignité d'être humain et le réconfort dont il a besoin. Elles essaient de maintenir le message de Jésus-Christ dans son sens le plus pur : « Aimez-vous les uns les autres ».
Un soir, nous avons dîné avec des personnes qui comme nous étaient hébergées dans le monastère sans être des moniales. Une des femmes a commencé à nous parler et j'étais embarrassé car je ne voulais pas interrompre brutalement notre échange mais je voulais aussi préserver le silence dans lequel nous étions avec ma compagne depuis plusieurs jours. La personne qui parlait a compris que nous souhaitions rester en silence et est finalement restée silencieuse jusqu'à la fin du repas. Une fois le dîner achevé, nous devions ramener les plats vides à la cuisine du monastère. Alors que nous avions rapporté les plateaux et que nous allions nous quitter, la femme qui avait commencé à parler pendant le dîner était à côté de moi et je lui ai dit « Bonne soirée ». Elle ne m'a pas répondu et j'ai senti son absence de réponse comme un rejet.
Cet incident a touché une corde sensible en moi et quand je suis revenu dans notre chambre, je retournais dans ma tête tous les aspects de la situation que je venais de vivre. J'ai souvent remarqué que pendant des phases de silence, des incidents qui peuvent paraître anodins peuvent prendre soudain une grande importance. Dans le cours de mes réflexions intérieures, tout d'un coup, j'ai réalisé que cette femme ne m'avait pas rejeté mais que sa non réponse était une façon de me dire : « J'ai compris votre besoin de silence, je le respecte et vous n'avez même pas besoin de me dire bonne soirée ». Quelque chose a basculé en moi et j'ai senti mon cœur qui s'ouvrait, j'ai perçu le respect et l'amour qui régnait dans le lieu dans lequel nous étions. Mon sentiment de rejet avait disparu et avait laissé place à un sentiment de gratitude.
C'était comme si un mur s'était écroulé, le mur formé par cette conviction profonde de l'enfant blessé en moi qui croît toujours que le monde ne veut pas de lui parce-qu'il s'est senti abandonné quand il était au pensionnat. Quelque chose avait fondu en moi et avait laissé place à l'amour des autres et de la vie. Une phrase m'est venue spontanément et je la répétais intérieurement comme un mantra : « Merci de m'avoir accueilli ».
C'était comme si je percevais la face cachée de la vie du monastère et que je comprenais le sens réel de ce que ces Soeurs cherchent à faire exister. Il est possible d'être aimé parce-que nous sommes tout simplement humain, parce-que nous sommes vivants. Il n'y a rien à prouver, rien à réaliser pour être reconnu, et comme il est dit dans les règles de Saint Benoît qui s'appliquent à toutes les personnes qui viennent au monastère : « Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ ».
Le fait que cet incident ait eu lieu dans l'enceinte du monastère est significatif. Le lieu évoquait en moi le souvenir vivace du pensionnat de mon enfance. Le premier jour où nous étions au monastère, une éruption de boutons est apparue sur mon corps. Ces manifestations sur ma peau était la marque d'un rejet instinctif de ce que j'avais senti dans le passé comme un emprisonnement. Ces éruptions se sont effacées au fur et à mesure de notre séjour, indiquant que ma réaction première avait laissé place à un sentiment beaucoup plus apaisé.
J'ai probablement choisi inconsciemment de passer quelques jours dans un monastère afin de revisiter les sentiments qui persistent en moi et sont associés aux mémoires de mon enfance et certainement plus profondément à des mémoires de vies passées. Demeurer pendant plusieurs jours dans un établissement catholique m'a aidé à me réconcilier aux formes extérieures et officielles de la tradition chrétienne et catholique en percevant leur sens profond. Les fruits de cette tradition sont encore vivants aujourd'hui et continuent à faire vibrer dans le monde des valeurs spirituelles précieuses.
La fait de rester en silence pendant notre séjour correspondait à un besoin de couper avec le rythme et les habitudes de notre vie parisienne, mais était également une opportunité de rester dans une présence à nous-mêmes sans interférence avec l'extérieur. C'était une manière de vivre une expérience de méditation intensive pendant plusieurs jours, comme nous l'avions fait en Inde à de multiples reprises.
Mais je n'avais pas compris que les sœurs ne sont pas réellement en silence. Je croyais que la vie monastique s'accompagne automatiquement du respect du silence. Elles sont en fait très actives, dédiées à leurs tâches respectives qui nécessitent beaucoup d'échanges entre elles et avec les personnes qui viennent au monastère. Le déjeuner se passe en silence mais une des Soeurs est chargée à tour de rôle de lire à voix haute des extraits du journal La Croix (quotidien chrétien) et de magazines ou de livres en lien avec des sujets qui les concernent. Même pendant les Offices religieux, il y a peu de moments de silence car l'essentiel du temps est consacré aux chants et aux prières.
Le dernier jour, la Soeur en charge de l'hôtellerie nous a dit que, ma compagne et moi, nous leur avions apporté le silence, que nous leur avions rappelé son importance et que nous les avions élevées. Je ne m'attendais pas du tout à recevoir cette reconnaissance de la part de personnes qui se consacrent à la vie religieuse.
L'astrologie a été également présente pendant tout le séjour. Certains textes lus ou chantés évoquaient en moi des liens avec le sens de l'astrologie et son symbolisme.
La phrase qui m'a le plus plus touché est une de celles que les Soeurs prononçaient pour s'adresser à Dieu : « Elève-moi pour te servir ». Je crois qu'elle résume l'attitude que les astrologues devraient avoir s'ils veulent se mettre au service des personnes qui les consultent. L'astrologie peut contribuer à nous élever quand elle est comprise dans sa dimension spirituelle et transcendante. Et en nous élevant, nous pouvons transmettre ce que l'astrologie a de plus précieux, les mots qui peuvent toucher la profondeur des êtres et infléchir leurs destinées.
Pendant la dernière nuit que nous avons passé dans le monastère, je revoyais mon passé professionnel, avec ses difficultés et ses accomplissements. Je revoyais mon enfance et je ressentais le parcours de mon âme à travers les situations qui ont émaillées ma vie. Je repensais à l'astrologue que j'ai rencontré quand j'avais 23 ans et à l'influence qu'il a eu sur mon existence. Je sentais comment une rencontre peut faire basculer une vie dans un sens ou dans un autre. Je sentais que toutes les décisions que nous prenons ont une importance beaucoup plus grande que celle que nous percevons consciemment. Chaque choix que nous faisons, chaque situation que nous vivons peut modifier notre existence. La réalisation de notre destinée semble très incertaine si nous regardons la conscience très limitée que nous avons des processus à l'oeuvre dans notre vie, mais elle obéit à des lois qui le plus souvent nous échappent et qui peuvent déclencher des rencontres et des évènements qui nous remettent sans cesse sur la voie de la réalisation de notre être essentiel.
Lorsque qu'un être possède une compréhension profonde et intuitive des enjeux d'une vie humaine, il peut être à même de guider un autre être pour révéler ses capacités plus ou moins endormies et ouvrir de nouvelles portes. C'est là où l'astrologie trouve tout son sens et où l'astrologue devient un initiateur à travers les messages qu'il transmet.
Dans les textes que les Soeurs lisaient ou chantaient, l'idée d'un combat spirituel était très présent. Il faut du courage et de la persévérance pour incarner des valeurs qui permettent aux autres de s'en inspirer et de mettre leur vies en accord avec ce qu'ils sont au plus profond d'eux-mêmes.
Je vois le livre que je suis en train d'écrire comme une succession de méditations sur les planètes, en essayant d'illustrer la manière dont chaque archétype peut nous inspirer pour nous aider à nous rapprocher de la quintessence de l'existence.
Au fond, rien n'est trivial, rien n'est inutile dans notre vie. Tout ce que nous vivons est là pour nous aider à révéler qui nous sommes, tout est beaucoup plus important que ce nous croyons. Les Soeurs que j'ai rencontrées se rappellent en permanence, à travers leurs chants et leurs prières, la présence du Christ dans leurs vies. De la même manière, il est nécessaire, si l'astrologue veut aider les autres à réaliser leur potentiel, qu'il maintienne et cultive la connexion à son Moi Supérieur par des pratiques méditatives ou spirituelles accompagnées d'un travail psychologique lui permettant d'identifier et d'effacer les voiles qui le limitent et l'emprisonnent.
Ce que je souhaite transmettre dans mon livre, c'est la manière dont l'astrologie peut nous aider à (re)trouver le cœur spirituel de l'existence qui donne un sens à tout ce que nous vivons. L'astrologie peut ainsi contribuer à nous élever pour servir les autres et la vie.
Pierre Mével